Pour apporter ma petite pierre :
LE PHARMACIEN ET L’EXCLUSION
( Article paru dans « Le Quotidien du Pharmacien » )
L’exclusion... Un terme qui focalise aujourd’hui la peur de l’avenir, le spectre du chômage. Les médias en parlent beaucoup, montent certains événements en épingle. De nombreux pharmaciens la vivent au quotidien, parce qu’ils se trouvent dans des zones sensibles ou tout simplement parce qu’ils ont décidé de s’investir pour apporter une aide efficace à des personnes en demande. Et ils ont à faire face à une exclusion multiforme, par la maladie - on pense bien sûr au sida - mais aussi par la précarité,la délinquance...
Il arrive aussi que le pharmacien passe de l’autre côté de la barrière: des pharmaciens exclus, il y en a, assistants sans postes fixes, titulaires en faillites...
Des témoignages qui mettent en lumière les facettes souvent méconnues d’une profession.
L’EXCLUSION AU QUOTIDIEN: L’ACTION DU PHARMACIEN
L’exclusion est aujourd’hui un phénomène médiatisé mais, comme le souligne Bernard Pouget de Vaux en Velin, on ne la trouve pas toujours où on l’attend. En 17 ans d’exercice, il n’a jamais eu de braquage, aucune agression, ni aucune inquiétude d’aucune sorte et les événements de 90 qui ont été surmédiatisés ne témoignent pas pour lui de l’exclusion telle qu’il la vit au quotidien. Il constate que beaucoup de ses patients - environ 30 % - à pouvoir d’achat restreint (chômeurs de longue durée, RMIstes, jeunes) bénéficient d’une carte donnant droit à la gratuité des soins, le passeport Rhône-soins, qu’il considère comme un facteur limitant l’exclusion. Les personnes en situation précaire à Vaux en Velin peuvent aussi recourir au Relais-Santé qui permet aux plus défavorisés de bénéficier, pour les soins dentaires et optiques, d’une mutuelle qui leur coûte, par mois, le prix d’un paquet de cigarette. « Il y a aujourd’hui des moyens de se débrouiller... Pour moi, la véritable exclusion n’est pas là. Beaucoup de personnes âgées sans mutuelle, percevant le minimum vieillesse, ont du mal à assumer le coût des traitements complémentaires, même si ce coût n’est que de 200 F par mois! Certaines se résolvent à ne pas se soigner ! Voilà les exclus de la santé. » Moyennant quoi, il arrive souvent à Bernard Pouget de prendre en charge une partie des frais, sans même en parler à ses clients, simplement pour leur permettre de se soigner décemment. « Mais les gens sont reconnaissants et très confiants envers le pharmacien dans les quartiers difficiles: c’est une récompense. Ils demandent beaucoup de conseils, y compris pour la rédaction de documents et le remplissage des feuilles d’impôt... ».
UNE CHARITE DISCRETE...
Bernard Pouget lutte aussi à sa façon contre l’exclusion des drogués qu’il incite à une prise en charge psychologique au sein d’un réseau local permettant l’accueil dans un centre municipal, par un éducateur, un psychologue et un psychiatre. Certains ont même réussi a retrouver un emploi et à se réinsérer: une grande satisfaction aussi pour le pharmacien qui y a contribué.. « J’aime l’exercice en milieu difficile mais j’ai parfois l’impression d’y perdre un peu de mon acuité verbale et de ma vivacité, au contact de personnes illettrées ou de faible niveau social qui demandent qu’on se mette à leur portée, ce qui est somme toute normal ! ».
Pour Alain Jaynet ( 14 éme arrondissement de Marseille ), le rôle du pharmacien auprès des exclus est tout autant un rôle d’accompagnement et de conseil que de charité sous la forme de dons d’échantillons de dermocosmétique et de produits d’hygiène par exemple. Ce qui ne l’empêche pas d’être conscient de la nécessité de traiter les exclus comme les autres patients de l’officine, de façon précisément à ne pas renforcer le sentiment d’exclusion.
LE RESPECT D’UNE GRANDE PUDEUR
Bruno Sanchez-Dumont, installé dans le quartier Oberkampf à Paris, constate également de son côté que les vrais exclus ne parlent pas de leur situation. « Les gens ont beaucoup de pudeur lorsqu’ils sont en situation précaire. Nous percevons leurs difficultés à travers un certain regard sur les produits de parapharmacie, un regard de demandeur qui ne sera jamais acheteur. Il faut respecter cette pudeur. Pour quelques-uns de ces patients, j’archive plusieurs empreintes de la carte Paris-Santé pour leur éviter d’avoir à la tendre devant tout le monde ! ». Don de doses d’essais, de médicaments rapportés à l’officine, de pansements, sont ici monnaie courante. Les exclus ont aussi besoin parfois d’être bousculés pour la prise en charge sociale, la mise à jour des papiers, une manière de les obliger à se maintenir dans le système social.
Bruno Sanchez-Dumont, pour cause de tracasseries administratives suite à une dénonciation, a dû éliminer en quasi totalité sa clientèle de toxicomanes, mais il en a pris en charge près de 120 pendant plus de quatre ans - il lui en reste 3 aujourd’hui. Pour lui, lutter contre l’exclusion a aussi signifier, surveiller de très près les patients sous Subutex, un médicament dont les mésutilisations sont plus nombreuses qu’on ne l’imagine: revente, dépannage d’amis, injection en intraveineuse. Il était aussi important pour lui de limiter le nomadisme, un phénomène déjà connu pour les patients sous Métadone. Bruno Sanchez-Dumont s’occupe toujours par contre de ses 30 patients atteints du Sida - il gère une trentaine d’anti-rétro-viraux. Une population qui ne se différencie pas du reste de la clientèle mais qui a besoin d’être sécurisée pour tout ce qui concerne les pathologies parallèles. « Le pharmacien fait partie de leur sphère de contrôle » Ce qui n’empêche pas un certain nombre d’attentions pour leur faciliter les choses: préparation des médicaments en sacs scellés pour la date probable de leur retour à l’officine, et dialogue dédramatisant la délivrance. Ils recherchent la discrétion bien entendu et tendent souvent, de façon significative, leur ordonnance pliée en quatre pour signifier cet impératif de confidentialité !
PHARMACIEN A LA CITE DES 4000
Omar Aadri, après plusieurs années d’assistanat à Paris, s’est installé, en 1996, à La Courneuve, au coeur de la Cité des 4000. Une option de sa part et aussi une sorte de défi: il a agencé sa pharmacie, ce qui se fait rarement dans ces banlieues pauvres - un investissement de 200 000 F - avec un rayon parapharmacie à marge très réduite ( 15 % ), dans un quartier où tout est dégradé et délabré. Une attention qui a été perçue par la population comme une marque de respect. Résultat: la boutique flambant neuve n’a pas été touchée, bien qu’elle ne soit pas protégée par une grille de sécurité, et une nouvelle clientèle la fréquente aujourd’hui ! « J’ai rapidement eu un contact très direct et chaleureux avec la population, en majorité maghrébine, et dont je parle la langue, ce qui a facilité le dialogue et l’instauration de la confiance. Je tutoie mes patients et ils me vouvoient mais il y a un vrai respect mutuel et aussi une fraternité, une reconnaissance de coeur. Ici, je peux jouer pleinement mon rôle de santé publique et d’assistance. »
Omar Aadri s’occupe aussi de beaucoup d’activités péripharmaceutiques, administratives, sociales et humaines (secours psychologique, écoute, conseil de vie en couple... ). Sa pharmacie est une des rares à accueillir les jeunes de 15 ans du quartier qui effectuent des stages en entreprise ( jusqu’à 5 par semaine ): « Ils sont pleins de bonne volonté, de dévouement, de rigueur au travail et de reconnaissance. Ils reviennent ensuite régulièrement me demander conseil » Sa façon à lui d’encourager la jeunesse en difficulté.
TOUS CONCERNES...
Si l’exclusion était jusque-là un phénomène ponctuelle de quartiers ou de régions difficiles, il concerne aujourd’hui pratiquement tous les pharmaciens comme le souligne Marina Jamet ( Paris 18 ème ). « De plus en plus de personnes viennent demander des médicaments sans avoir l’argent pour les payer ». De vrais pauvres, souvent S.D.F, qu’on ne peut pas ne pas aider, surtout lorsqu’ils ont fait la démarche très difficile de pousser la porte. Si le cas est complexe, le patient est envoyé dans un des Centres Précarité parisiens, comme le Centre Verlaine à Saint-Louis où les soins et les médicaments pour 8 jours sont donnés gratuitement.
La lutte contre l’exclusion consiste aussi à dialoguer au quotidien avec les drogués qui n’ont pas encore entrepris de démarche de sevrage ou de substitution, ne serait-ce que pour maintenir le lien social, ce qui implique une formation et un engagement ( seringues à 2F, préservatif à 1F... ).
Gérer l’exclusion c’est aussi et avant tout pour Marina Jamet, gérer les contacts entre professionnels de santé, pour permettre une action efficace.
QUAND LE PHARMACIEN DEVIENT L’EXCLUS
L’exclusion ne concerne pas toujours les autres. Elle touche parfois le pharmacien lui-même et en particulier l’assistant, comme le souligne Catherine Grison ( Association Conscience et Avenir (.1 ), dont le mari, à 42 ans, après 15 ans d’assistanat, a de plus en plus de mal a trouver des emplois stables ( sur un an, il a travaillé en moyenne 5 jours par mois ). Les problèmes financiers des officines ont en effet des répercussions sur les salaires et les horaires des assistants: 15 à 20h en moyenne, coefficient 400 ( soit 5000 F nets par mois ). Sans oublier la volonté de comprimer au maximum la masse salariale et d’éviter autant que faire se peut l’ancienneté.
« Nous vivons l’exclusion au quotidien, l’exclusion par le chômage et par l’incompréhension des gens qui nous entourent et qui ne veulent pas croire qu’un pharmacien puisse être au chômage et gagner si peu quand il travaille! ». L’exclusion pour l’assistant, c’est aussi de sentir qu’il a perdu l’estime des titulaires dont beaucoup vivent comme une sanction l’obligation, à partir d’un certain chiffre, de prendre un assistant. « On demande aujourd’hui à l’assistant d’être derrière le comptoir, de vendre le plus possible et de coûter le moins cher possible ! ».
DES TITULAIRES QUI NE PEUVENT PAS SE PAYER
Du côté des titulaires, même les APEC constate qu’il y a de plus en plus de pharmaciens au chômage. Catherine Grison rappelle aussi qu’il y a des pharmaciens titulaires qui n’ont pas de quoi manger ! Il s’agit souvent de personnes célibataires qui ne peuvent bénéficier des revenus d’un conjoint, des pharmaciens surendettés qui s’accrochent à leur officine, leur seul patrimoine, et qui ne prélèvent aucun salaire ou guère plus de 3000 à 5000 F par mois. Certains, à 30, voire 40 ans, vivent encore chez leurs parents et leur donnent à peine l’équivalent de leurs repas chaque mois ! Sans oublier les dépôts de bilan qui se soldent par une mise à la rue pure et simple si le loyer de l’officine et de l’appartement étaient confondus !
Sans faire de catastrophisme, de telles situations existent et elles vont certainement toucher de plus en plus de pharmaciens.
Un pharmacien en difficulté à Fontenay-Sous-Bois raconte comment l’exclusion se met insidieusement en place: refus des confrères de dépanner le pharmacien en difficulté, rumeurs de faillite colportées par certains confrères et relayées par les commerçants alentours, demande de paiement des livreurs de la répartition, à voix haute, devant la clientèle, personnel déstabilisé qui envoie les clients chez les confrères... Une situation qui s’amplifie dans les petites villes et qui oblige à terme le pharmacien à quitter sa région d’origine !
Des réalités qu’ils ne faut pas éluder...
(1) 5 rue Léon Dierx, 75015 Paris - tèl: 01.48.28.39.45