avec un taux de chômage de près de 10 % en France, la situation de l’emploi ne s’est pas améliorée depuis de nombreuses années. Dans ce contexte, le marché de l’emploi en pharmacie fait figure de parent riche de la Nation, à en croire quelques acteurs du secteur. Les chômeurs ? « Quelques centaines tout au plus… », « Ça n’existe pas en pharmacie ! »… Et pourtant.
Génération précaire
Lors de son habituel rendez-vous sur la démographie, l’Ordre des pharmaciens avait évoqué une « précarisation » des adjoints, traduite par l’augmentation soudaine du nombre d’intérimaires, un chiffre qui a bondi de 9 % entre 2009 et 2010. Côté Pôle emploi, au dernier pointage en juillet, les chiffres montrent 4 099 demandeurs d’emploi pour des postes de pharmaciens et près de 7 100 pour les préparateurs (voir encadré) . Des taux à rapporter aux effectifs des deux professions : près de 15 % pour les adjoints et 10 % pour les préparateurs. Faramineux pour un marché censé être protégé par la stabilité économique du modèle officinal ! D’où viennent ces milliers de chômeurs, dont tout le monde semble ignorer l’existence ? Premier indice, ces fameux intérimaires. « On était historiquement autour de 3 000 remplaçants, ce chiffre est passé à près de 4 000 récemment. Depuis deux ans, il est clair qu’un certain nombre d’adjoints en poste à temps partiel ont été basculés vers du remplacement de courte durée », analyse Jérôme Parésys-Barbier, président de la section D du conseil national de l’Ordre. Entre deux postes, ces adjoints « volants » pointent à Pôle emploi, venant gonfler les chiffres du chômage. « Certains adjoints choisissent de ne travailler que pendant les vacances scolaires. Estce une situation choisie ou imposée ? Certainement un peu des deux », témoigne Philippe Denry, président de la commission Relations sociales et formation professionnelle à la FSPF. Sans chiffres précis, les « vrais » chômeurs se comptent donc au doigt mouillé.
Territoires abandonnés
Les syndicats salariés et patronaux réunis au sein de la commission nationale paritaire pour l’emploi (CPNE) estiment de leur côté que le chômage ne dépasse pas 4 % des adjoints, soit 600 à 1 000 demandeurs d’emploi « chroniques » : « Seuls quelques-uns sont véritablement en recherche : ce sont par exemple des personnes qui ont changé de région pour aller vers des bassins d’emploi où il n’y a pas d’offre », explique Jérôme Parésys- Barbier. « Les CDI à temps plein ne courent pas les rues. » Damien Chesnel
Un constat rassurant que ne partage pas Damien Chesnel, le président de l’association des pharmaciens adjoints de Bretagne (Apab), seule organisation à représenter uniquement les adjoints : « En quelques années, le seuil d’embauche du premier adjoint a été relevé de 30 %, alors que le chiffre d’affaires des officines n’a augmenté que de 17 %. Beaucoup de titulaires préfèrent engager un préparateur. » Ce n’est pas tout : « La situation économique a beaucoup joué, abonde Philippe Denry. L’augmentation du nombre de redressements judiciaires a empêché de nombreux renouvellements de postes. » Cette tendance est-elle passagère ? Pas sûr. Les chiffres de l’emploi montrent que « l’évolution nette annuelle des effectifs salariés n’a cessé de diminuer et ce de manière continue [entre 2000 et 2009, NDLR] dans les pharmacies d’officine », peut-on lire dans le « Portrait de branche », édité en 2009 par Ithaque.
Temps très partiels
Les représentants des salariés pointent en outre une fragmentation de plus en plus importante du temps de travail : « J’ai de nombreux cas d’adjoints travaillant à temps extrêmement partiel », témoigne Corinne Bernard, permanente de la Syncass-CFDT en charge des pharmaciens. « Les CDI temps plein ne courent pas les rues », conclut Damien Chesnel. Un coup d’oeil aux offres d’emploi d’adjoints parmi les sources habituelles (voir « Nota bene ») permet de moduler un peu le propos : au 13 septembre, moins d’un tiers des CDI proposés les trois derniers mois incluait un temps partiel. Mais les postes à temps complet sont souvent dans des régions jugées peu attractives : Lorraine, Centre… Voilà tout le paradoxe de ce marché du travail où les tensions constatées depuis au moins deux ans n’ont pas encore poussé les salariés à accepter des postes en dehors de leur zone géographique. Trop d’adjoints en Île-de- France et en Provence-Alpes-Côte d’Azur, pas assez dans le Nord ou le Centre, l’équation provoque des difficultés à la fois pour les titulaires et les adjoints partout en France, avec des offres d’emploi en nette diminution : « Les adjoints doivent plus jouer le jeu en allant là où les besoins se font sentir ! », martèle Jérôme Parésys-Barbier. D’autant que le numerus clausus a été maintenu à un niveau élevé : 3 095, alors qu’on recense 1 700 départs à la retraite chaque année. Le marché de l’emploi pharmaceutique (officine, industrie, hôpital) arrivera-t-il à absorber les 1 400 professionnels formés « en trop » tous les ans ? Rien n’est moins sûr. ❙
le pharmacien de france 2011