L’avenir de la pharmacie est-il de vendre du shampoing et du dentifrice? Voilà
la question à la mode qui agite les réseaux sociaux et qui interroge dans le
but d’obtenir la désapprobation générale. Evidemment, dit comme cela ou réduit de
la sorte, la réponse semble couler de source. On ne souhaite à aucun pharmacien
de laisser se déliter son expertise du médicament au profit uniquement de biens
de consommation courante. Sa valeur ajoutée pour nous autres les patients,
c’est avant tout son savoir scientifique qu’il distribue à deux pâtés de
maisons sous la forme de conseils et de services ajustés à notre état de santé.
D’ailleurs, existe-t-il aujourd’hui une seule pharmacie capable d’envisager de subsister
sans une patientèle à soulager? En aucun cas, low cost compris. Qu’il
existe des particularismes géomarketing et des positionnements orientés retail est tout à fait connu et n’augure
pas d’une dévalorisation de l’image du pharmacien. Où que l’on mesure la
tendance, le patient s’en remet inconditionnellement au pharmacien. Cependant, en
amont du patient se trouve avant tout un consommateur omniconnecté et collaboratif,
en fait un shopper aussi disruptif que les technologies qu’il s’approprie.
C’est pourquoi la réponse ne peut pas être dans le conservatisme mais
nécessairement dans la conduite du changement. Cela signifie qu’il est opportun pour la
pharmacie de s’en remettre inconditionnellement au client. Patient and Customer focused :
Voilà une devise 4.0 pour la pharmacie d’officine.
Il faut avoir à l’esprit que les agents économiques que nous sommes (c’est
comme ça qu’on nous appelle en économie), possédons des unités de besoin en
matière de produits parapharmaceutiques et que ces besoins sont couverts d’une
manière ou d’une autre. Distribution
spécialisée, vente directe, Internet, grande distribution, VPC, sont les
circuits d’un écosystème de l’offre qui nous est familier. L’espace de vente
officinal est-il en dehors de cet écosystème de l’offre ? Dois-je
nécessairement être malade pour fouler l’espace de vente officinal ? Si la réponse est non à l’une de ces deux
questions alors au nom de quoi écouler du shampoing et du dentifrice serait
antinomique à l’exercice de la pharmacie ? Notez que j’emploie le terme
écouler et non celui de vendre car le front-office est un espace en
libre-service où l’activité exploratoire et l’acte consommatoire s’organisent
délibérément sans l’aide de l’équipe officinale ou à minima. Dans la majorité
des cas, c’est le client qui se vend les produits à lui-même suivant ses
propres besoins et désormais avec le support surpuissant des outils de la
digitalisation. Alors pourquoi au contraire ne pas organiser les conditions
d’un concept catégoriel construit sur
des déterminants géomarketing et intégré aux usages numériques ?
Il y a même un effet d’aubaine aujourd’hui pour la pharmacie d’officine car
le consommateur est tout disposé à faire ses « courses » de produits para, loin des considérations élitistes
d’il y a encore une dizaine d’années. La pharmacie d’officine doit capitaliser
sur ce changement d’attitude en usant du principe d’autorité qui irradie
l’ensemble de son offre et qui la singularise des autres circuits.
Ce qui en
pratique implique un redesign fonctionnel de son outil de travail par la professionnalisation de l’espace
marchand (expertise Retail), par la promotion des prestations de service (spatialisation des compétences technico-scientifiques), et par l’adoption du management de la relation
client (marketing relationnel). A cela s’ajoute la redistribution de la ressource temporelle
qui consiste à retirer du temps improductif à l’équipe officinale (automatisation)
pour le remplacer par du temps rémunérateur (digitalisation et formation). Et ce faisant, on met au jour un paradoxe
puisqu’au final c’est l’unité commerciale organisée qui clarifie
l’établissement de santé et le renforce. Shampoing et dentifrice comme éléments
du progrès !
C’est le chantier nécessaire pour s’adresser à cet agent économique et
porter l’expérience client/patient au niveau évangélisateur de l’enchantement. Car
quoi qu’on en dise, il demeure une réalité implacable, superbement formulée comme
la première des 95 thèses du Manifeste des Evidences paru en 1999 !!: ‘Les marchés sont des conversations’.
L’avenir de la pharmacie, comme n’importe quel autre secteur d’activité,
dépend donc de la façon dont elle écoute ses conversations et des enseignements
qu’elle en tire. Pour ma part, je suis convaincu qu’elle gagnera toujours à être
une organisation apprenante qui coordonne son comportement sur celui de ses
clients/patients.